Le Haut Moyen-Age s'étend sur cinq siècle de l'an 500 à l'an 1000. En terme chronologique, cette période prend la suite de l'Empire Romain d'Occident, celle que l'on désigne sous le nom d'Empire Tardif. Le Haut Moyen-Age se décompose en deux périodes principales, l'époque Mérovingienne et l'époque Carolingienne.
L'économie médiévale est avant tout agricole, elle occupe 99% de la population. Le premier changement n'apparaitra qu'au XIIème siècle. Globalement, le Haut Moyen-Age est une période de relative stagnation économique. Ceci dit, l'époque Carolingienne voit un frémissement annonciateur d'une reprise qui sera plus visible au XIème siècle.
Pour comprendre les structures de l'économie du Haut Moyen-Age, il faut remonter à l'Empire Tardif. En effet, l'économie de l'Europe Occidentale est restée longtemps, et en tout cas pendant l'époque Mérovingienne jusqu'au VIIème siècle, marquée par des structures, des rapports sociaux et des fonctionnements issus de l'Empire Romain.
A partir du VIIème siècle, les régions du Nord-Ouest de l'Europe, pays originaire des Francs, se réveillent. Les structures sociales et foncières évoluent et favorisent un accroissement de la production. Une économie d'échanges se développe, une nouvelle monnaie, le denier d'argent est de plus en plus utilisé et la mer du nord devient un axe de circulation. Cette situation est caractéristique de la première période Carolingienne (750-850).
La période qui suit, jusqu'à la fin du Xème siècle est plus difficile. L'Ouest de l'Europe subit plusieurs invasions (Normands, Sarrasins, Hongrois) qui contribuent à déstabiliser l'économie et la société. Les derniers Carolingiens peinent à conserver leurs royaumes. En 987, la dynastie Capétienne s'installe sur le trône de France.
L'Economie Médiévale de Philippe Contamine, Marc Bompaire, Stéphane Lebecq, Jean-Luc Sarrazin ---- ISBN : 2200266111
Sensible au jeu complexe entre une évidente inertie séculaire (le temps immobile de la longue durée) et des changements incessants, mineurs et majeurs, ce livre de synthèse ne pouvait se contenter de la traditionnelle et schématique répartition du millénaire médiéval en trois périodes : haut Moyen Âge, Moyen Âge central, bas Moyen Âge. Il s'articule en huit séquences chronologiques.Il pose le problème si controversé du passage de l'Antiquité tardive au Moyen Âge, s'interroge sur les raisons et les modalités de la croissance (perceptible dès le Xe siècle), brosse un tableau nuancé de la situation à la veille de la Peste noire (1348), insiste sur le dynamisme de l'Occident, même lors de la Grande Dépression (1350-1450), évoque la nature contrastée de l'économie européenne quand débutent les Grandes Découvertes, qui vont modifier la donne en profondeur.
L'archéologie, les techniques, les variations et les aléas climatiques, auxquels les contemporains étaient si sensibles, la démographie, l'approche quantitative des phénomènes (production, prix, salaires, échanges), les cadres juridiques et mentaux à l'intérieur desquels se déployèrent les phénomènes économiques : autant d'aspects que ce livre entend prendre à son compte, en recourant à l'ensemble de la bibliographie internationale disponible
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Le Contexte historique
La civilisation et l'économie médiévale sont issues de celles de la Rome Antique.
L'Empire Tardif (IIIème - Vème siècles)
L'Antiquité et l'Empire Romain sont caractérisés par une civilisation urbaine, les villes et cités jouent un rôle prépondérant et dominent les campagnes environnantes.
Dans la Gaule, la Provence et l'Aquitaine sont fortement romanisées avec plusieurs villes significatives. Le Nord de la Loire a aussi reçu l'influence de la civilisation romaine, mais les villes et les monuments ont moins d'ampleur qu'au Sud.
La société Gallo-Romaine s'appuie sur une économie agricole. L'exploitation des terres est généralisée, elle utilise une main d'oeuvre en majorité esclave (90% de la population contre 10% de libres). Les échanges sont nombreux et s'appuient sur une infrastructures de voies romaines importante et bien entretenue, les fleuves sont aussi de grands axes de communication.
A partir du milieu du IIIème siècle, la partie Occidentale de l'Empire Romain: Gaule, Germanie, (Grande-)Bretagne, Espagne subissent les incursions et invasions de peuples Germaniques et Anglo-Saxons. L'Empire Romain reprend la situation en main au IVème siècle avec Dioclétien puis Constantin.
De nouvelles vagues d'invasions se produisent au début du Vème siècle. Certains prennent une grande ampleur comme l'invasion des Wisigoths.
La résistance Celte se concentre à l'extrémité Ouest du continent (Bretagne, Galles, ...). Ces invasions finissent par provoquer la chute de l'Empire Romain d'Occident, matérialisée par la déposition du dernier Empereur, Romulus Augustule, en 476, par le chef des Hérules, Odoacre.
Les Mérovingiens (VIème - VIIème siècles)
Les Francs sont un peuple fédéré avec Rome, leur roi Clovis prend le contrôle de la partie nord de la Gaule au début du VIème siècle, il fonde la dynastie des Mérovingiens. Ses successeurs agrandissent leur territoire en achevant la conquête de la Gaule et d'une bonne partie de la Germanie. Ils règnent prés de 250 ans, mais le pouvoir du roi évolue et à partir du VIIIème siècle, le personnage prédominant est le Maire du Palais.
Une famille de Maires du Palais va s'imposer aux autres aristocrates puis bientôt aux rois Mérovingiens eux-mêmes, elle va donner naissance à une nouvelle dynastie: les Carolingiens.
Dans le courant du VIIIème siècle, une puissante famille franque implantée dans la Belgique actuelle occupe le devant de la scène: les Pippinides. Trois personnages de cette famille constituent un empire qui finit par dominer une bonne partie de l'Europe occidentale. D'abord Charles Martel qui parvient à contrôler la Francie (Gaule du nord plus ouest de la Germanie). Son fils Pépin le Bref dépose le dernier roi mérovingien et se fait couronner roi de la Francie en 751. Son fils Charlemagne capitalise sur les acquis de Pépin, il étend ses domaines vers l'Est (Frise, Saxe, Bavière) et le Sud (marche d'Espagne, Italie du nord). Il devient Empereur, réminiscence de l'ancien Empire Romain d'occident.
L'héritage de l'Empire Tardif (IIIème -Vème siècles)
L'Empire Tardif est toujours caractérisé par une domination des villes capitales des cités (circonscription administrative de base), mais elle tend à diminuer. Les villes se réduisent et s'enferment dans des enceintes fortifiées pour se protèger des incursions barbares et des bandes de bagaudes.
Au IVème et Vème siècles, l'Etat Romain a de grands besoins financiers pour entretenir son armée et ses rouages administratifs. Les prélèvements sur les productions de tous types deviennent de plus en plus pesants. Ce système fiscal impacte de plus en plus les villes, les personnes riches, donc les plus taxées, préfèrent les quitter pour s'établir dans la campagne. Ils occupent les villas préexistantes mais en font aussi construire de nouvelles.
On assiste ainsi à l'émergence de grands domaines détenu par les grandes familles (Sénateurs, ..). Par domaine, on entend une ou plusieurs étendues de terres peuplées d'hommes qui y vivent et l'exploitent. Pendant l'Empire Tardif, ce sont d'une part des esclaves et d'autre part des paysans qui progressivement deviennent de moins en moins libres et sont attachés à la terre qu'ils travaillent..
Ce retour des riches vers la campagne diminue les recettes fiscales des villes qui ne peuvent plus alors assurer les services traditionnels, en particulier le soutien aux pauvres (l'annone). Ceux-ci quittent alors à leur tour la ville pour la campagne où il est plus facile de se nourrir et de vivre sans moyens.
En outre, les barbares fédérés de l'Empire Romain sont dotés de terres à la fin de leur période militaire, ils cultivent un lopin de terre. Ils sont libres, sauf qu'ils sont attachés à leur terre.
Toutes ces évolutions produisent une régression des villes et une réduction des échanges dans la durée. Il y a un appauvrissement économique progressif.
A cette époque (IIIème-Vème siècles) la base de l'activité économique devient de plus en plus la Villa, grand domaine foncier .
Le système économique de l'Empire Tardif continue à fonctionner malgré les difficultés car la libre circulation des hommes et des biens reste assurée, le réseau des voies romaines est entretenu. En outre la monnaie (d'or) circule et son cours est relativement stable.
Le rôle des Evêques De nombreuses grandes familles ayant quitté la ville, l'Evêque y prend progressivement la première position puis le pouvoir. La plupart des évêques sont issus de la classe sénatoriale, ils sont riches et peuvent distribuer des aumônes aux pauvres. Ils se constituent ainsi une clientèle qui les soutient.
L'Economie Mérovingienne
Situation militaire et politique Les invasions barbares se sont effectuées, dans la plupart des cas, relativement en douceur, par des accords, des traités et des alliances. Les différents groupes ethniques (Celtes, Gaulois, Germains) se sont interpénétrés. Par contre les remous et luttes entre les rois Mérovingiens et les aristocrates créent de l'insécurité et ont un impact défavorable sur les conditions de vie des populations.
A la fin du Vème siècle se met en place progressivement une organisation politique et économique essayant de prolonger le modèle romain. Les Germains et les Francs deviennent les cadres militaires et politiques de la société. Au plan économique, ils obtiennent la cession d'une partie des terres. En même temps, ils s'assimilent au monde Gallo-Romain tout en lui apportant des composantes de leur mode de vie, de leurs moeurs, de leurs coutumes et de leurs lois.
Environnement Le climat évolue, il devient plus frais et plus humide entre le IIIème et le VIIème siècles. Les glaciers descendent plus bas et la végétation naturelle regagne du terrain.
Les conditions de vie sont plus difficiles, l'insécurité s'est accrue, on assiste donc à une diminution de terres cultivées (l'ager) au profit des terres incultes (le saltus) qui se compose des forêts, des prairies, des marais, des landes, ... En même temps se produit un resserrement des communautés qui se replient sur elles-mêmes. En conséquence, les famines réapparaissent et deviennent plus fréquentes.
Population et habitat Le résultat est une diminution de la population jusqu'au VIIème siècle (de l'ordre de -10 à -20% par rapport à celle du IIIème siècle). Ceci se traduit par l'abandon de nombreux sites habités pendant l'Empire Tardif au profit d'endroits plus faciles à protèger, comme ceux situés sur des promontoires. De nombreux Oppida de l'âge du fer sont réhabilités ainsi que certaines grottes.
Les grands domaines Dans les campagnes, l'insécurité est permanente. Les petits propriétaires recherchent des protecteurs, ils se mettent sous la dépendance des propriétaires des grands domaines qui ont édifiés des dispositifs pour sécuriser leurs villas.
Le rôle de l'économie domaniale s'amplifie pendant la période mérovingienne. Le domaine mérovingien reste principalement mis en valeur par des esclaves et des non-libres. L'Eglise devient un très grand propriétaire car elle bénéficie de nombreuses donations.
L'Economie Carolingienne
A partir du VIIIème siècle des facteurs positifs améliorent l'économie. D'abord les défrichement des terres incultes et des forêts qui augmentent la surface cultivée. Ce mouvement est accentué par la création et le développement de nombreuses Abbayes. Ceci induit un retournement positif de la démographie.
Charles Martel réalloue une partie des biens fonciers ecclésiastiques à ses fidèles pour les rémunérer de leurs services militaires. De nombreuses grandes familles franques se retrouvent à la tête de grands domaines, en particulier dans les régions situées entre la Loire et le Rhin. Par la suite Charlemagne fait de même à partir des territoires conquis (Saxe, Bavière, Lombardie, …).
Charlemagne ne limite pas son action à des conquêtes militaires, il organise et administre efficacement ses domaines. On assiste alors à une phase de développement : la renaissance carolingienne, qui touche tous les secteurs y compris l'économie. Elle reste cependant limitée car la discorde s'installe entre ses successeurs et les invasions normandes dévastent des régions entières jusqu'au début du Xe siècle.
Pour comprendre les structures de l'économie carolingienne, il faut remonter à l'Empire Tardif. A cette époque (IIIème -IVème siècles) une composante importante de l'activité économique est la Villa, grand domaine foncier détenu par les grandes familles (Sénateurs, ..). Elle est exploitée principalement par des esclaves.
Les Grands Domaines appartiennent donc aux rois (les fiscs), aux aristocrates laïcs et aux grands établissements religieux (Abbayes, …). Il se trouve surtout dans la zone entre la Loire et le Rhin, qui est le coeur de l'Empire Carolingien.
Le Capitulaire de villis
En complément des polyptiques et la description des fiscs d'Annapes, le Capitulaire « de villis » est une source inestimable pour se faire une idée du fonctionnement du grand domaine. Il a été promulgué par Charlemagne autour de l'an 800.
Par exemple le capitulaire donne les proportions à observer entre culture et pâturages, les rendement du sol et le matériel utilisé. Il fournit une liste assez complète des plantes qui peuvent être cultivées.
Le Grand Domaine Carolingien d'entre Rhin et Loire
Le Grand Domaine est une structure économique importante qui a duré sur tout le Haut Moyen-Age, du VIIème siècle jusqu'au Xème siècle, où il a contribué fortement à l'émergence de la féodalité.
Les Grands Domaines sont immenses, pour donner un ordre d'idée, ils dépassent couramment la taille moyenne des communes rurales actuelles. En pratique les terres ne sont pas regroupées, elles sont dispersées dans la région voisine et même au-delà.
Le Grand Domaine est apparu au VIIème siècle dans la continuité de la Villa de l'Empire Romain. Il se caractérise par une bipartition des terres : d'une part la terre réservée à l'usage du propriétaire, on l'appelle la réserve, d'autre part des tenures (ou manses), confiées à des paysans en échange de jours de travail dûs sur la réserve, la corvée, qui varie sensiblement selon les époques, les régions et le type de manses.
Il existe trois types de propriétaires de Grands Domaines : le roi, le domaine royal se compose d'un ensemble de Grands Domaines (le fisc), les grands laïcs et les Abbayes. Ces dernières nous ont laissé des écrits sur la vie et la gestion de leur domaine dans des polyptiques au IXème siècle.
La réserve Le terme réserve est moderne. Dans les textes carolingiens, elle est désignée par le terme terra indominicata. Cela signifie : qui appartient au maître de la villa, au seigneur.
Au centre, se situe un groupe de bâtiments appelé la Curtis (=la cour). Cet ensemble de bâtiments est souvent fermé par des murs ou des haies. On y trouve la maison d'habitation du maître (la sala dominica). La demeure est entourée de bâtiments d'exploitation comme des étables, des granges, des celliers, des bergeries. On trouve aussi des cuisines et des boulangeries. Pour les esclaves qui assurent les travaux de la ferme, ils sont logés dans des cabanes en bois et pour ceux qui exercent des métiers artisanaux on trouve des ateliers. La curtis est aussi dotée d'un jardin, d'un verger et d'un pressoir.
Des biens divers dépendent de la curtis comme les terres labourables qui sont composées de parcelles plus ou moins petites et nombreuses. Il y a un pré et une vigne. On trouve aussi des pâtures pour le bétail et les coutures qui sont des parcelles de terre cultivées et labourées.
La terra arabilis est l'ensemble des terres cultivées à l'exploitation directe du propriétaire. Ce sont des champs mis en culture selon des règles locales, parfois triennale (mise en culture deux années sur trois) ou biennale (un an sur deux).
La réserve est munie de différentes annexes pour l'exploitation, un moulin le long d'un cours d'eau, un pressoir et parfois une brasserie pour la cervoise. Les polyptiques incluent souvent dans la réserve une église ou une chapelle.
Pour mettre en valeur la réserve, il faut une importante main d'œuvre. Les esclaves forment la familia du maître, ils sont logés et nourris par lui. Mais les plus nombreux sont les tenanciers : ceux qui exploitent les tenures (unité d'exploitation en dehors de la réserve) et qui doivent des redevances et des services au maître.
Les tenures et les manses Une tenure est une terre non comprise dans la réserve, elle est tenue et mise en valeur par un tenancier qui doit des redevances et des services au maître.
L'ensemble des tenures paysannes du domaine carolingien sont nommées terra mansionaria. Les tenanciers assurent les labours, la moisson, les récoltes, la fenaison, les vendanges, la coupe des bois, le charroi et l'entretien des terres. Contre la jouissance de sa tenure, le tenancier doit une redevance qui représente un loyer et des services gratuits.
Le manse est une unité de tenure familiale. Il comprend la maison d'habitation du tenancier et des bâtiments d'exploitation (étable, grange, cellier…), le jardin potager. On peut rattacher au manse le droit de faire paître son bétail, le droit de pâture, le droit de prendre dans les bois les matériaux de construction et le bois de chauffage.
Il existe trois catégories de manse : les manses libres ou ingénuiles, les manses serviles et les manses lidiles :
-les manses ingénuiles sont concédées à des ¨libres¨, ils doivent surtout des charrois et des services saisonniers.
-les manses serviles sont concédées à des ¨non-libres¨, ils doivent des charges plus lourdes comme des services à bras toute l'année.
-les manses lidiles sont concédées à des ¨affranchis¨.
Les manses libres sont plus nombreuses que les manses serviles.
Le système des manses est très complexe. La superficie des manses est différente selon les régions. Cela semblerait se justifier par les différences de bons et mauvais sols et les différences de densité du peuplement. Les polyptiques du IX ème siècle montrent que le manse évolue. Plusieurs familles s'associent dans un seul manse pour diviser le poids des charges dues au maître. La création de nouveaux manses dues à des défrichements accentue la complexité du système des manses. Les charges restent cependant identiques pour toutes les tenures.
Plusieurs familles peuvent s'associer pour mettre en commun leurs ressources afin d'exploiter ensemble un seul manse et se partager les charges. Apparait alors un autre problème : celui du fractionnement et du surpeuplement. Les manses se fractionnent (demi-manses, trois quart de manses). C'est la conséquence des partages familiaux (ex : des frères qui veulent exploiter des surfaces plus petites ou qui veulent vivre en foyer séparé) ou des petits défrichements faits par des enfants non pourvus de terre ou par des nouveaux venus dans le domaine.
On connaît d'autres types de tenures pour les manses qui sont concédées à des personnes plus riches. Le manse du maire et du forestier : ils administrent et surveillent les bois de la réserve. On trouve le manse du cavalier qui escorte le charroi contre sa tenure.
Le fonctionnement du Grand Domaine Le Grand Domaine fonctionne en circuit fermé pour la plus grande partie de ses productions. Les transports sont progressivement devenus difficiles pendant l'époque mérovingienne, les voies romaines se sont dégradées.
Un grand propriétaire qui possède plusieurs domaines organise sa vie ainsi : il séjourne avec sa suite dans l'un de ceux-ci, il en consomme les ressources puis se déplace vers un autre domaine et ainsi de suite. Ce mode de vie sera d'ailleurs pendant de nombreux siècles celui des rois de France.
Les Abbayes ont une organisation différente mais qui reste toujours dans le cadre d'une économie fermée. Certaines parties du domaine ont des productions spécialisées, par exemple le vin. L'abbaye de Saint Germain des Prés organise des transports de vins, issus de ses domaines du Berry vers Paris.
Utilisation des surplus Une bonne part des surplus agricoles est bien souvent distribuée aux habitants du domaine car le stockage des denrées alimentaires est difficile à cette époque. Les jambons salés sont un des rares produits à pouvoir être conservés.
Certains domaines peuvent cependant commercialiser des surplus, dans ce cas la vente a lieu rapidement après la récolte. De nombreuses foires existent dés l'époque carolingienne, on peut citer la foire de Saint Denis, près de Paris, qui se tient les 9 octobre de chaque année, elle a été fondée par le roi Mérovingien Dagobert I au début du VIIème siècle.
Le Grand Domaine est utilisé par le pouvoir royal pour dégager des surplus alimentaires réguliers.
Le Grand Domaine Carolingien dans le reste de l'Empire Carolingien
Regardons la réalité du grand domaine et de sa contribution économique dans les zones périphériques (est et sud) de l'empire.
Le système domanial (dit « classique ») décrit par les polyptiques ne représente qu'une partie de l'économie agricole de l'époque carolingienne. Ce système comporte lui-même des variations quant à la nature et la lourdeur des charges demandées aux tenanciers. Pour autant ce modèle domanial a été diffusé par les rois francs et les établissements ecclésiastiques dans le reste de l'empire., sans qu'il deviennent prédominant.
Est du Rhin et Lombardie
De grand domaines sont créés dans les régions conquises par les mérovingiens et les carolingiens à l'est du Rhin et en Lombardie. Le modèle évolutif du grand domaine « classique » s'applique toujours avec des adaptations locales.
Ces domaines sont encore plus immenses que ceux des régions entre Loire et Rhin. Ainsi l'abbaye de Saint Gall (actuellement dans l'est de la Suisse) comporte 4000 manses (contre 2000 à Saint Germain des prés). Il y a prédominance des manses serviles. La réserve est assez réduite et possède une main d'œuvre propre, les mancipia. Les services que les tenanciers fournissent à la réserve sont faibles.
Sud de la Loire et régions méditerranéennes
Les régions méditerranéennes ont été plus romanisées que les autres et, pendant le moyen-âge, leur histoire rurale est différente de celle des régions du nord. Le régime domanial a été dominé par le dynamisme de la petite paysannerie libre.
Les grands domaines du sud de la Bourgogne, de l'Auvergne, de l'Aquitaine, de la Septimanie et de la Provence ne fonctionnent pas suivant le système domanial « classique ». Bien souvent il y a disjonction entre réserves et manses. D'ailleurs le terme de manse n'apparaît qu'à la fin du VIIIe siècle en Provence et au début du IXe en Italie.
Ceci est encore plus net en Italie où la majorité des tenanciers sont des libres. Leur tenure est établie par écrit pour une durée fixe. Ils n'ont pas de corvées mais rémunèrent le grand propriétaire en lui cédant une partie de leur production. On sent nettement l'influence du droit romain antique. L'économie est moins fermée, les échanges plus importants avec un usage plus développé de la monnaie.
Conclusion Le grand domaine est un rouage important de l'économie carolingienne, il participe au léger décollage économique de l'occident entre le VIIIe et le Xe siècle. Enfin il contribue également à la genèse du système féodal.
Le grand domaine bipartite (réserve, manses) est une structure économique évolutive dont la mise en place résulte de la conjonction de facteurs historiques, économiques, sociaux et politiques. Les domaines contrôlent une part importante du sol disponible. Ils ne sont pas constitués d'un bloc unique de terres mais bien plutôt dispersés dans l'espace.
Le domaine est une unité économique qui vit relativement en autarcie, avec parfois une spécialisation de certains parties qui fournissent les autres (exemple du vin). La présence d'artisans est nécessaire car il faut réaliser les équipements du domaine, vêtir et équiper les personnes. D'où le développement du tissage, du travail des métaux et de la charpente par exemple.
Les grands domaines assurent un train de vie confortable à l'aristocratie, à leur parenté et à leurs fidèles. Il en est également ainsi pour les monastères et abbayes. C'est une situation privilégiée dans un monde où la pénurie alimentaire est endémique.
Le grand domaine participe au léger décollage économique de l'occident entre le VIIIe et le Xe siècle.
La recherche d'une meilleure rentabilité n'est pas étrangère au régime domanial, pour autant elle reste médiocre sur la période. Le propriétaire pousse à l'amélioration de la productivité, ce qui, dans la plupart des régions, favorise la montée en puissance de la petite exploitation paysanne dépendante.
La généralisation des moulins à eau traduit une évolution des méthodes de production. Elle permet aussi au propriétaire de se créer de nouveaux droits et d'établir de nouvelles redevances sur ses tenanciers. Il améliore ainsi la rentabilité de son domaine. En même temps, c'est, pour les grands propriétaires, l'établissement d'un encadrement et d'un contrôle social plus strict des paysans.
Les surplus agricoles et certaines productions artisanales contribuent à une réanimation du commerce.
Les grands propriétaires utilisent leurs ressources obtenues pour satisfaire de nouveaux besoins, ce qui va dans le sens de l'émergence d'un premier niveau d'économie de marché.
La période carolingienne bénéficie d'une croissance démographique modérée.
Les caractéristiques majeures des manses se retrouvent dans toutes les régions de l'empire. Ce sont le surpeuplement et sa conséquence, le fractionnement. Les réserves diminuent afin de créer de nouveaux manses. On aboutit à la généralisation des petites exploitations paysannes dépendantes mais avec une réelle autonomie de gestion.
Le grand domaine contribue aussi à la genèse du système féodal
Pendant la période carolingienne la concentration foncière est particulièrement sensible dans la partie nord du monde franc. Ce mouvement a de multiples origines : donations, bénéfices, alliances matrimoniales, assujettissement des petites propriétés aux grands domaines. Les grands propriétaires, forts de leurs pouvoirs politiques et militaires, accaparent progressivement les attributions du pouvoir royal. Ils peuvent alors faire évoluer la condition juridique et sociale des paysans et leur imposer l'exécution de services et le paiement de redevances dont l'origine est publique, en plus de celles d'origine privée.
La Monnaie: le Denier
Après l'Empire Romain, la monnaie perd progressivement son rôle. La monnaie d'Or ne sert qu'aux transactions des rois et des grands aristocrates. Pour les autres le seul moyen d'échange redevient le troc. La revitalisation de l'économie sous les Carolingiens fait réapparaitre une monnaie. En 864, l'Édit de Pîtres indique la valeur de cette nouvelle monnaie: une pièce d'or vaut douze pièces d'argent.
Cette monnaie permet de réaliser des transactions sur des marchandises courantes. En outre elle permet de stocker les pièces et donc d'épargner puis au-delà d'investir dans des projets plus coûteux.
Le Polyptique de l'Abbaye de Saint Germain des Prés
Un Polyptique est un inventaire des domaines d'un grand propriétaire, qui décrit la réserve, les tenures, parfois avec leurs tenanciers et les charges qui pèsent sur elles. Le plus célèbre et le plus ancien à être conservé comme original est le polyptique réalisé dans les années 820-829 à la demande de Irminon, abbé de Saint Germain des Prés près de Paris.
Le domaine Grâce au polyptique d'Irminon ce domaine est très bien connu. C'est un document d'administration domaniale qui date de 813, à la fin du règne de Charlemagne. Ce polyptique dénombre les domaines d'un propriétaire foncier. Il fournit pour chaque domaine l'inventaire des biens et revenus, la liste des paysans vivant sur le domaine et les charges qui pèsent sur eux. Chaque chapitre décrit un domaine. Le polyptique d'Irminon recense 25 Villae appartenant à l'abbaye de Saint Germain des Prés qui couvrent une superficie d'environ 30000 hectares.
Dans le polyptique , l'abbé Irminon a renfermé tous les revenus de toutes les terres de l'abbaye. Les 25 domaines sont dispersés en Normandie, Basse-Seine, en région parisienne, Beauce, Orléanais, Gâtinais, Berry et Anjou.
Ce polyptique est très utile grâce à sa grande précision. On peut y voir la superficie et la contenance des terres, le nombre de familles qui les cultivent, le nom des chefs de famille, les différents emplois confiés à leurs membres et les redevances et les services dus.
Grâce au polyptique d'Irminon, Benjamin Guérard (premier éditeur et commentateur du polyptique) a a calculé la superficie moyenne du manse ingénuile sur l'ensemble des domaines de l'abbaye, elle était de 10 hectares, et celle du manse servile de 7 hectares.
Plus précisément, sur les quatre Villae de l'abbaye au sud de Paris, la superficie moyenne varie de l'une à l'autre entre 9 et moins de 5 hectares. Les cas individuels montrent de grandes différences : les manses serviles varient de moins de 1 hectare à 9.25 et les ingénuiles de 1 à 15 hectares. A Verrières (l'une des quatre villae au sud de Paris), la moyenne des familles par manse s'élevait à 1.84. Il peut s'agir de plusieurs ménages qui s'associent pour partager les charges dues au maître. Dans ce polyptique, on retrouve les termes demi-manses et quart de manses, cela peut s'expliquer par le partage d'une terre par des héritiers qui ne veulent plus travailler et vivre ensemble.
Pour le charroi, les tenanciers de Saint Germain des Prés devaient assurer le transport des excédents des réserves jusqu'au port de Quentovic (en Boulonnais).
L'abbé Irminon a tenté de regrouper ces fractions en manses entiers pour rendre l'administration plus facile et pour égaliser les redevances. Les redevances pouvaient être des chemises de lin et laine, des houes, des chaudrons, des tonneaux, des torches, du savon, des instruments en fer, des pioches…
Librairie sur le Moyen-Age
Cette librairie présente d'abord une page de synthèse sur le Moyen-Age avec les principaux livres sur cette période. Ensuite, les livres sont classés selon trois axes : chronologique, thématique et géographique.